Une seconde chance pour le Mali
Le Mali est un pays laïc, indépendant, en voie de développement. De Bamako à Tombouctou, en passant par toutes les villes et les régions, je me suis rendu compte que mon pays vaut plus que ce qu’on essaie de me faire croire. Avec toutes les opportunités qu’il peut offrir, je me rends compte que nous, Africains, nous n’utilisons qu’une fraction de notre potentiel.
Quand on vit dans la capitale, Bamako, et qu’on est obnubilé par tant d’évolutions et de civilisations, on croit que le pays s’arrête là. Les jeunes de la capitale ont toujours cru que leur ville était la seule partie intéressante du pays.
Mais cette idée est dépassée, car je crois que les régions participent aussi au développement du pays tout comme la capitale.
Tout juste à la fin de l’occupation des régions du nord du Mali, ma curiosité me poussa à me rendre à Tombouctou, où vit ma grande sœur.
Quand on a passé une grande partie de sa vie à Bamako, il est difficile de s’adapter dans une autre région, surtout si celle-ci a des difficultés liées à son développement. Tombouctou est la 6e région administrative du Mali, l’une des villes les plus réputées, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité en 1988 par l’Unesco. La ville des 333 saints, la perle du désert était une zone très, très touristique avant la crise née de la rébellion indépendantiste partie de Kidal en janvier 2012.
Mes débuts dans cette ville n’ont pas été faciles. J’étais stressée, bizarre, mal dans ma peau. Mais j’étais surtout très mal à l’aise face à l’état de la ville. Je ne suis pas née avec une cuillère en argent dans la bouche, mais l’état de la ville à cette époque laissait à désirer.
De ce fait, j’étais un peu distante envers les habitants. Inconsciemment ou non, je me sentais supérieure car je croyais que venant de la capitale, je valais mieux que ces personnes nées dans la région. Me mêler à cette masse était pour moi chose inenvisageable. Je n’avais tissé de lien avec personne, n’avais voulu m’intéresser à quoi que ce soit. Surtout, la langue que je ne maîtrisais pas m’énervait, ce qui ne facilitait pas les choses, et je n’avais ni la volonté ni l’envie de l’apprendre. Tout cela ne me posait pas de problème, car je pensais pas rester longtemps. À me lire, on croirait que c’était une ville invivable, alors que c’est mon ignorance qui s’exprimait à ma place.
Ce que je ne savais pas, c’est que de l’autre côté, les gens s’étaient fait une image erronée de moi. J’étais considérée comme une fille hautaine. La citadine typique.
Après quelques semaines dans ma petite bulle et surtout dans ma zone de confort, j’ai décidé d’entreprendre quelques activités, histoire de ne pas rester là à ne rien faire.
J’ai alors commencé un stage dans une banque de Tombouctou. Grand fut mon étonnement quand j’ai vu à quel point les clients, comprendre les habitants de la ville, sont si sociables. J’ai commencé à me laisser aller et à faire confiance aux gens. De fil en aiguille, sans que je ne m’en rende compte, je me suis fait des connaissances, des amis, des collègues.
Après la banque, j’ai collaboré à Sankorelabs, une entreprise sociale, toujours située à Tombouctou. C’est là que m’est venu le déclic, une sorte de révélation et d’illumination, qui a déterminé ma compréhension envers certaines situations et a provoqué un véritable changement de comportement. Effectivement, en voyant comment l’entreprise se dévoue corps et âme pour donner une nouvelle image de la ville et aussi du pays, je me suis sentie obligée de faire partie du processus.
À ma grande surprise, cela se passait bien, car les habitants de la ville de Tombouctou sont d’une gentillesse incommensurable.
J’ai commencé à m’intégrer, à m’intéresser à la ville, à ses habitants et surtout à essayer d’apprendre leur fabuleuse langue locale (mieux vaut tard que jamais).
Peu de temps après, j’ai eu à discuter avec quelques amis que je me suis faite. Je leur ai confié ma première impression sur la ville et sur les gens d’ici. La réponse fut incroyable :
Selon eux, je n’étais pas la seule à réagir comme cela. Beaucoup de personnes venues d’ailleurs se font des idées préconçues à leur sujet soient parce qu’ils sont arabes, Tamasheq, Maure ou même Bella. Ils s’imaginent des barrières et créent des différences. Face à ce genre de situation, les habitants aussi se sentent frustrés, rabaissés et étiquetés. De là vient la mésentente entre les ethnies, les habitants, les étrangers et j’en passe. Encore plus important, dans une querelle ethnique, la plupart des gens pensent que ce sont les autres qui sont racistes, parce qu’ils parlent une autre langue, alors qu’en réalité, ce sont eux-mêmes la cause du conflit car ils mettent une barrière entre eux.
En effet, beaucoup trop souvent, les gens pensent qu’ils sont victimes d’une situation, alors qu’en réalité, ils sont eux-mêmes l’élément déclencheur. Nous subissons tôt ou tard l’effet des intentions, de nos actions, dont nous avons été la cause.
La différence ethnique ou linguistique est a priori psychologique, l’homme est toujours craintif face à ce qu’il ne maîtrise pas.
Il se sent impuissant s’il ne comprend pas l’autre et naît alors des sensations d’exclusion et de discrimination.
Voyons au-delà des barrières, car nous sommes tous coupables, nous sommes tous victimes…
Cette histoire est banale, comme des milliers d’autres, mais porte une leçon de morale qui doit nous pousser les uns et les autres à voir au-delà des préjugés et des stéréotypes.
Dans ce pays, qui est le Mali, nous sommes tous égaux. La diversité culturelle, linguistique et ethnique n’est pas un obstacle ou un frein, mais plutôt un atout pour notre développement commun.
Lorsqu’il y a amalgame, il ne sert à rien de blâmer autrui sans être sûr qu’on est soi-même à 100% au-delà de tout reproche. Nous sommes tous fautifs et responsables. Disons non aux idées préconçues ! Nous devons promouvoir notre citoyenneté, qui se définit aussi par des valeurs telle que la civilité : une attitude de respect à la fois envers les autres citoyens mais aussi à l’égard des bâtiments et lieux publics. Il y a aussi le civisme, qui consiste à titre individuel à respecter et à faire respecter les lois et les règles en vigueur, mais aussi à avoir conscience de ses devoirs envers la société et envers son prochain. Enfin, la solidarité, qui est tellement importante car elle favorise la consolidation de nos liens et l’ouverture aux autres.
Disons oui à la cohésion sociale pour favoriser l’intégration des individus, leur attachement et leur participation à la vie sociale. Nous devons partager les mêmes ensembles de valeurs et de règles de vie acceptées par tous. Pour pouvoir prétendre quoi que ce soit, il faut d’abord une cohésion sociale, ce qui permet de favoriser la qualité de vie des membres de cette société.
Nous avons besoin d’un Mali où la solidarité est intense et les liens sociaux solides. Nous devons lutter contre les inégalités entre les genres, les ethnies, les cultures et surtout les personnes elles-mêmes. La cohésion doit être utilisée dans un objectif collectif voire national et étatique. Elle est nécessaire car contribue à l’équilibre et au bon fonctionnement de la société.
Mon Mali à moi…
Assise au bord du petit lac de Djingareyber, je rêve d’un Mali où homme et femme sont reconnus à leur juste valeur et surtout récompensés selon le mérite. Mon Mali à moi, c’est un pays où l’apparence de la femme n’est pas son seul critère de beauté, car la beauté ne sera jamais une question d’apparence ou de genre : la véritable beauté est en chacun de nous. Elle est notre sens du leadership, notre impact positif sur la société. Notre engouement pour le développement de la communauté. Ce faisant, en tant que femme, je crois qu’il est temps de briser les barrières, et surtout de défier le statu quo.
Mon Mali à moi, c’est où le Tamashek et le Bamanan prennent une tasse de thé ensemble à Kidal. Mon Mali à moi, c’est voir à Mopti, sur les berges de la Venise malienne, un Peulh et un Dogon boire du lait ensemble et défaire quelques poisons du maillon d’un filet. Mon Mali à moi, c’est où tout Malien peut prendre part au festival du vivre-ensemble à Tombouctou. Mon Mali a moi, c’est où le brassage culturel n’est plus un rêve ni un mythe mais une réalité palpable.
Née à Kayes, élevée à Bamako et adoptée par Tombouctou, je suis une véritable nomade. Mon périple m’a vraiment ouvert les yeux sur les réalités évidentes que, vous et moi, nous nous efforçons à ne pas voir.
Ceci est une histoire banale, mais une histoire vraie, celle de Fatimata Touré, une fille ambitieuse qui est à la découverte insatiable du savoir, qui a été heurtée par le statu quo et qui a eu une seconde chance.
Mon histoire est la preuve concrète que la cohésion sociale au Mali est possible. J’en suis un exemple parfait.
En cette période de crise intense qui secoue mon Mali, je crois qu’on a tous besoin de seconde chance. Oui, nous pouvons changer les choses ! Oui nous pouvons faire évoluer ce pays ! Chers Maliens, chères Maliennes, donnons-nous une seconde chance pour nous prouver à nous-mêmes que, hormis nos différences, nous sommes tous les enfants d’une même nation, d’une seule terre, d’un seul peuple. Donnons-nous la chance de cohabiter en paix !
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